Jouant et dormant pendant 3 semaines, les enfants lisent deux fois plus vite !
Magie ? Non, science. Neurosciences…
Une étude récemment publiée dans la revue Current Biology montre comment les neurosciences peuvent concrètement contribuer à optimiser l’éducation. Et cela de manière naturelle (physiologique) !
Cette nouvelle étude est l’aboutissement d’une dizaine d’années d’investigations de deux neuroscientifiques, Sidarta Ribeiro (Instituto do Cérebro, Natal) et Felipe Pegado (Aix-Marseille Université), un de chaque côté de l’Atlantique (au Brésil et en France), qui étudient deux thématiques totalement différentes : l’un dans le domaine des neurosciences du sommeil, et l’autre dans les neurosciences de la lecture. Sidarta souhaitait confirmer ses premières conclusions selon lesquelles le sommeil, sous forme de siestes à l’école, pourrait considérablement améliorer la consolidation de l’apprentissage du matin. Felipe souhaitait confirmer ces résultats suggérant que « l’invariance en miroir » (un mécanisme visuel qui permet la reconnaissance des images en miroir) provoque des erreurs pour l’orientation des lettres (e.g., confusion entre b et d) chez les enfants qui s’alphabétisent, et que cela limite la fluidité de la reconnaissance des lettres, et ainsi la fluidité de la lecture. Les deux ont uni leurs forces et ont conçu une étude pour répondre à ces deux questions fondamentales, simultanément, et de façon définitive (en utilisant une approche causale). Ils ont mené des études randomisées contrôlées dans une école à Natal (Brésil), avec des enfants en CP. Pendant trois semaines (une demi-heure par jour), certains enfants tirés au sort ont reçu une formation spécifique pour améliorer la distinction entre les lettres en miroir (comme b versus d et p versus q), grâce à des jeux multisensoriels amusants conçus pour aider le système visuel à comprendre les différences entre ces lettres en miroir, en mobilisant d’autres sens (le son de la lettre, l’écriture des lettres, la perception tactile des lettres). Une partie des enfants tirés au sort dormait après l’entraînement (sieste), d’autres continuaient leurs activités habituelles à l’école. Un groupe contrôle ne recevait pas d’entrainement. Un autre groupe contrôle supplémentaire effectuait les mêmes jeux multisensoriels, mais avec d’autres lettres : des lettres symétriques telles que H ou X, donc sans apprendre à distinguer l’orientation gauche/droite des lettres. Les résultats ont montré que les enfants avec l’entrainement spécifique n’étaient plus confus visuellement pour distinguer l’orientation des lettres. Ils ont également grandement amélioré les erreurs d’écriture. Le sommeil a très bien consolidé l’apprentissage, qui était intact 4 mois plus tard. Sans la sieste post-entraînement, il avait une perte d’environ la moitié de l’effet d’apprentissage ! Le sommeil a amélioré l’ampleur, l’automatisme et la durée de l’apprentissage. Et le plus important : les enfants qui s’entraînaient et dormaient lisaient deux fois plus vite que les deux groupes contrôles ! Ces résultats ont été pré-registrés et répliqués trois années de suite, et les données et l’article sont en libre accès (open science).
Ces résultats montrent une plasticité cognitive extrême chez l’être humain, capable d’inhiber en 3 semaines un mécanisme cérébrale vieux d’au moins 25 millions d’années (car l’invariance en miroir est présente aussi chez le singe) ! L’article montre une méthode simple et accessible pour faciliter la fluidité de lecture en CP, ce qui est critique pour la bonne compréhension en lecture. Cette approche pourra s’avérer utile pour les enfants en difficulté de lecture (dyslexiques), qui ont montrent souvent beaucoup de confusion en miroir.
Compte tenu de la crise du coronavirus, Felipe souhaite maintenant répliquer les résultats en France avec une intervention online en proposant les activités multisensorielles aux couples parent-enfant, au soir, avant de s’endormir…
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